Le restaurant de l'amour retrouvé d'Ito Ogawa

Publié le par Brouillard

Le restaurant de l'amour retrouvé d'Ito Ogawa

Roman traduit du japonais par Myriam Dartois-Ako

Ed. Philippe Picquier, 2013

  Le restaurant de l'amour retrouvé par Ogawa

Une jeune femme de vingt-cinq ans perd la voix à la suite d'un chagrin d'amour, revient malgré elle chez sa mère, figure fantasque vivant avec un cochon apprivoisé, et découvre ses dons insoupçonnés dans l'art de rendre les gens heureux en cuisinant pour eux des plats médités et préparés comme une prière. Rinco cueille des grenades juchée sur un arbre, visite un champ de navets enfouis sous la neige, et invente pour ses convives des plats uniques qui se préparent et se dégustent dans la lenteur en réveillant leurs émotions enfouies. 

Un livre lumineux sur le partage et le don, à savourer comme la cuisine de la jeune Rinco, dont l'épice secrète est l'amour.

coeur

"A ses côtés, j'ai passé la nuit à manger les donuts. Elle avait mélangé des graines de pavot à la pâte saupoudrée de cannelle et de cassonade, jamais je n'oublierai ce goût suave. A chaque donut de la taille d'une bouchée, moelleusement frit à l'huile de sésame, que je déposais dans ma bouche, les journées baignées de soleil passées avec ma grand-mère me revenaient à l'esprit, telles des bulles vaporeuses."

Ce ne sont pas les premières lignes de ce roman magique où la cuisine est à l'honneur au même titre que l'amour de la nature (animaux, temps, saisons, fruits et légumes) et des individus. La cuisine véhicule l'état d'esprit du cuisinier, c'est pourquoi il est impératif que celui-ci soit dans de bonnes dispositions au moment de concocter ses plats sans quoi l'amertume de son âme se ressentira dans le plat et le gâchera. Le cuisinier ne doit pas porter du jugement négatif ou de ressentiment pour la personne pour laquelle il cuisine sous peine d'anéantir tout son travail de cuisine et de gaspiller les mets. Voilà la philosophie de Rinco, celle que sa grand-mère lui a transmise et qu'elle met en application chaque fois qu'elle cuisine. Le restaurant "L'Escargot" qu'elle ouvre dans son village natal est atypique : elle l'a conçu pour ne servir qu'une table à la fois. Elle ne propose pas un menu défini dont le client doit choisir dasn une liste pré-établie les plats, mais au contraire, elle fait connaissance avec ce(s) dernier(s) quelques jours ou heures avant le repas pour lui(/leur) élaborer un menu spécifique lié à son(/leur) envie, sa(/leur) nature profonde. Elle fait des cadeaux personnels à ses clients. Elle les enchante par le palais et la magie qui se dégage de ses plats. La cuisine est à la fois un don de son soi, un moment de partage et d'échange, un moyen de s'ouvrir les uns aux autres, de pardonner et guérir les blessures que le temps a infligé.

Ito Ogawa, nous fait pénétrer dans la vie du village par Rinco qui se réapproprie les paysages, les lieux de son enfance. Nous voyons et ressentons le monde à travers ses yeux et ses sens. La poésie du monde, le rythme de la nature et ses perfections, tout est rendu fluide et gracieux par l'écriture poétique d'Ito Ogawa. Les recettes de cuisine sont développées avec sensualité : toute l'harmonie des gestes, des cuissons, des saveurs est admirablement servie par cette écriture délicate. L'attachement aux personnages se fait en douceur. Toutefois, je tiens à prévenir les âmes sensibles que la fin du roman peut les heurter, notamment par cette volonté de l'auteure à développer les étapes des recettes : des préparatifs de la viande à l'éxécution du choix des plats. 

Cela ne gâche en rien la plénitude que ce livre procure. Nous sommes comme suspendu dans le temps, en apesanteur, une lenteur voluptueuse nous entoure.

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